Murex au Liban, une histoire naturellement haute en couleur

Pourpre: rouge, bleu, violet?

Dans le cadre de l’exposition Fascination du Liban, le Musée d’art et d’histoire et le Muséum d’histoire naturelle de la Ville de Genève s’associent pour faire découvrir la pourpre libanaise. Cette couleur, qui fait la renommée du pays dès l’Antiquité et à laquelle une salle est dédiée au Musée Rath, constitue en effet un sujet digne d’intérêt à plus d’un titre.

Dans le cadre de l’exposition Fascination du Liban, le Musée d’art et d’histoire et le Muséum d’histoire naturelle de la Ville de Genève s’associent pour faire découvrir la pourpre libanaise. Cette couleur, qui fait la renommée du pays dès l’Antiquité et à laquelle une salle est dédiée au Musée Rath, constitue en effet un sujet digne d’intérêt à plus d’un titre.

Pourpre: rouge, bleu, violet?

Aujourd’hui, on associe d’ordinaire la couleur pourpre à un rouge franc. Cela s’explique notamment par la décision du Pape Paul II (1417-1471) qui, préconisant la pourpre pour les habits des cardinaux, favorise les exploitations de kermès et de cochenilles, des insectes producteurs de couleur rouge. Or, des expériences démontrent que la couleur pourpre ancienne tirait vers le bleu-violet. À ce titre, le terme anglais purple, correspondant à un violet profond, renvoie à une couleur plus proche de la réalité que le mot français.

Un peu d’histoire

Pendant des siècles, les teinturiers ont extrait la couleur pourpre de certains coquillages communément appelés murex. Ceux-ci, vivant en nombre sur les côtes libanaises, y ont été exploités pour leur couleur depuis la plus haute Antiquité. La teinture était utilisée pour les textiles, principalement la laine et la soie. Mais ce n’est pas tout. De la pourpre marine sous forme de pigment a en effet été reconnue sur les fresques de la ville d’Akrotiri, sur l’île de Santorin en Grèce. Or, cette cité a été détruite par une éruption volcanique, habituellement datée de 1628 avant J.-C. Ces vestiges, antérieurs, attestent d’un usage ancien de la pourpre dans le décor mural; ils permettent également de penser qu’il en était de même ailleurs en Méditerrannée.

Quoi qu’il en soit, les premières attestations d’industrie de la pourpre libanaise remontent au IIe millénaire avant J.-C. Le site d’Ugarit, au nord du pays, a ainsi livré des tablettes de terre cuite portant des inscriptions en cunéiforme évoquant la teinture en pourpre d’environ soixante kilos de laine. Ces vestiges remontent aux XVe-XIVe siècles avant J.-C. Des dépôts de coquilles brisées de murex de la même époque ont été découverts sur le même site, témoignant d’une exploitation organisée des coquillages. La mythologie classique n’est pas en reste sur le sujet, et précisément au sujet de Tyr. Ainsi, Pollux (Onomasticon I, 4), grammairien du IIIe siècle de notre ère, nous apprend que: «Les Tyriens prétendent qu’Hercule s’éprit chez eux d’une nymphe indigène, qui se nommait Tyro. Un chien […] suivait Hercule […]. Le chien d’Hercule, ayant aperçu une pourpre ramper sur un rocher et s’avancer hors de sa coquille, en saisit la chair avec ses dents; puis la mangea. Le sang couvrit les lèvres du chien du rouge le plus vif. Quand la nymphe, à l’arrivée du héros auprès d’elle, vit le chien dont les lèvres se teignaient de cette nuance inaccoutumée, elle déclara à Hercule qu’elle lui refuserait son amour, s’il ne lui donnait des vêtements encore plus éclatants que les lèvres de ce chien. Hercule retrouva le coquillage, en recueillit le sang, donna à la jeune fille le présent qu’elle souhaitait: et il passa à Tyr pour l’inventeur de la pourpre.»

Theodoor van Thulden (1606-1669), La découverte de la pourpre, Madrid, Prado, P01845
Theodoor van Thulden (1606-1669), La découverte de la pourpre, Madrid, Prado, P01845

Ces témoignages sont confirmés par les us et coutumes des Anciens, chez qui la couleur pourpre revêtait une grande valeur. Chez les Romains, depuis les derniers siècles de notre ère, elle était réservée aux dignitaires et aux membres les plus aisés de la société. Elle deviendra, dès l’époque byzantine, l’apanage des plus hauts représentants de la chrétienté.

Les murex et l’aquarium

Deux espèces de murex dominent sur les côtes libanaises: le murex trunculus et le murex brandariis. On les distingue aisément; le trunculus est plus gros que le brandaris et présente une forme moins complexe et moins élancée. En ce qui concerne la production de la couleur, ces deux espèces présentent également des différences intéressantes. Une exposition à la lumière est indispensable pour obtenir de la couleur avec le murex brandaris; le murex trunculus, lui, se passe d’ensoleillement et conduit à une teinte plus proche d’un bleu que celle obtenue avec le murex brandaris, plus violette.

De gauche à droite: « murex trunculus », « murex brandaris » et,
plus rarement utilisé en teinturerie, « purpura haemastoma »

Ces deux espèces de coquillages sont représentées par des individus évoluant dans un aquarium spécialement installé pour l’occasion au deuxième étage du Muséum d’histoire naturelle. C’est une occasion unique de découvrir de ses propres yeux ces animaux vivants, notamment lors de leur nourrissage; c’est aussi l’occasion d’aborder de nombreuses thématiques en lien avec le sujet en compagnie de Rolf Haubrichs, chimiste de l’Université de Genève et spécialiste des teintures naturelles. Il sera présent dans l’espace des animations du mercredi du Muséum d’histoire naturelle les 16, 23 et 30 janvier et 6, 13, 30 et 27 février, de 14h à 16h30.

Pour clore cette série d’événements, Rolph Haubrichs donnera une conférence/démonstration sur le sujet au Musée Rath même, le dimanche 3 mars, à partir de 15 heures. À ne pas manquer!

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