Un travail social et scientifique indispensable
Initiée en 2019 par le Cercle de travail allemand de recherche de provenance (Arbeitskreis Provenienzforschung), la seconde Journée internationale de la recherche de provenance se tiendra le 8 avril 2020. Cet événement a pour but de souligner l’importance sociale et scientifique de cette tâche complexe menée par les chercheurs en Europe – en Allemagne, France, Autriche, Hollande, Belgique et Suisse. L’occasion de rappeler ici très brièvement les événements historiques et l’effort qu’entreprend le MAH dans ce domaine: un projet mené en son sein par une petite équipe dirigée par une chercheuse de provenance.
Le contexte historique
La revanche fut l’un des motifs du régime national-socialiste pour procéder à de vastes spoliations sur les territoires occupés: il fallait se venger des humiliations infligées par les troupes napoléoniennes et ramener au Reich tous les objets d’art sortis des régions allemandes depuis l’Empire et même depuis le XVIe siècle. Le rapport Kümmel, rédigé par l’historien de l’art Otto Kümmel, dresse à cet effet le répertoire de toutes les œuvres susceptibles d’être rapatriées au nom de l’unité germanique.
À partir de 1933, la machine de spoliations se met en route avec une systématique implacable, d’abord sur le territoire allemand et ensuite dans les pays occupés comme la France, la Hollande, la Belgique et l’Autriche. En France, un nouvel organisme est créé pour mener à bien les pillages: l’ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg), dirigé par l’idéologue nazi de la première heure Alfred Rosenberg (à ne pas confondre avec le fameux galeriste français Paul Rosenberg).
Monuments Men
Ces agissements ne passent pas inaperçus aux yeux du reste du monde occidental et, dès 1943, les Alliés affirment leur volonté de protéger les biens culturels européens avec la création de la Commission Roberts. En 1944, avant même la fin des hostilités, ils constituent une unité de 354 hommes et femmes, spécialistes des musées, historiens ou historiens de l’art, appelée communément les Monuments Men. Sur place, en Allemagne, dans les fameux Collecting Points (centres de collecte), ils ont pour mission de trier les œuvres retrouvées et de les restituer à leurs propriétaires légitimes. Quand la provenance ne peut être établie, les œuvres sont retournées dans les pays d’où elles proviennent; les différents gouvernements sont dès lors chargés de chercher à restituer ce qui peut l’être. Si la Suisse n’a pas subi de spoliations sur son territoire, son marché de l’art a en revanche servi à écouler une partie des œuvres spoliées. Le gouvernement helvétique accorde un délai de deux ans aux propriétaires ou ayants-droits pour formuler des demandes de restitution.
Par la suite, autant en Suisse que dans les autres pays, la conscience collective considère ce problème comme réglé… jusqu’au début des années 1990. La chute du mur de Berlin, l’ouverture d’archives jusque là fermées ou inaccessibles, la prise de conscience de l’horreur de la Shoah par les petits-enfants ou arrière petits-enfants des victimes, dont les survivants n’évoquaient que très difficilement l’indicible, le travail de recherche de certains historiens… tout cela mène à un nouvel intérêt pour cette période sombre. Des groupes de travail sont constitués – la commission Mattéoli en France, la commission Bergier en Suisse –, avec pour but de faire toute la lumière sur les événements. En 1998, 44 pays signent les 11 Principes de Washington et s’engagent, entre autres, à faire de la recherche de provenance et, en cas de provenance litigieuse, «parvenir à une solution juste et équitable» («just and fair»).
La Suisse
Pays signataire, la Confédération procède encore actuellement à la recherche de provenance sur les collections sous sa responsabilité directe (dont le Musée National à Zurich et sa filiale à Prangins (VD)). Cependant, la plupart des autres musées publics sont sous responsabilité cantonale ou municipale. Pour les inciter à faire ces recherches, la Confédération, par le biais de l’OFC, propose un soutien financier (50 % par l’OFC, 50 % par le musée). Le Musée d’art et d’histoire de Genève est bénéficiaire d’un tel encouragement et un petit groupe, dirigé par une chercheuse de provenance, se penche depuis janvier 2019 sur environ 70 œuvres dont la provenance pourrait poser problème. Les résultats de ce véritable travail d’enquête et un rapport final seront publiés à l’été 2020.