Arrivés depuis peu à Genève, des élèves nous font découvrir la ville autrement
Le projet «Regards croisés sur la ville» est né d’une envie: donner la parole à celles et ceux qui n’occupent pas souvent le devant de la scène. L’exposition Pionniers de la photographie en Suisse romande, qui s’est tenue à la Maison Tavel de septembre à mars dernier, offrait un sujet parfait pour un tel partenariat: la question du regard que l’on pose sur une ville, en l’occurrence Genève. Sylvain Selleger, enseignant engagé au service d’accueil du secondaire II (ACCES II), s’est emparé du sujet avec ses élèves. À l’automne, il a demandé aux jeunes de deux de ses classes de réfléchir aux lieux qui les rattachent à Genève, leur ville d’accueil, à travers une série de questions personnelles. Leurs réponses, sous la forme d’images auxquelles sont associés des commentaires, nous livrent leurs visions de la cité et dialoguent avec les photographies des années 1840 à 1865 présentées dans l’exposition. Ce projet donne une réponse sans équivoque à la grande question qu’a suscitée l’invention du nouveau medium dans les années 1840: les photographies ont-elles une âme ou sont-elles le pur produit d’une machine?
Un voyage dans le passé
À la Maison Tavel, le visiteur de l’exposition pouvait découvrir les premières techniques qui ont permis de fixer l’image. Les quelque 270 œuvres exposées, ainsi que la scénographie immersive de l’exposition, permettaient un voyage dans la Suisse romande des années 1850. Ces photographies ont non seulement figé une ville en partie disparue aujourd’hui, elles témoignent également du goût et de l’intérêt de ceux qui les ont prises: le lac et le Rhône occupent une place centrale dans de nombreuses vues. Genève est alors une ville de tourisme qui attire de nombreux Anglais qui effectuaient le Petit ou le Grand Tour, d’où un certain goût pour les images «cartes postales» de la ville du bout du lac, au pied des Alpes. Mais ce qui anime les preneurs de vue diverge de cette tendance. Certains mettent plutôt en avant la ville qui se modernise et d’autres, dans une démarche plus patrimoniale, tentent au contraire de conserver la mémoire des bâtiments anciens voués à disparaître. La modernité du pont du Mont-Blanc construit en 1861 tranche ainsi avec les veilles pierres de la Tour Maîtresse dont ne témoigne aujourd’hui plus que la rue qui porte son nom. La ville d’avant 1850, encore encerclée dans un système de fortifications, disparaît devant les édifices construits sur les nouveaux terrains conquis, telle l’Église russe et les autres bâtiments de culte qui s’érigent sur la ceinture fazyste1.
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Tirage albumine, 126 x 215 mm.
©Fondation Auer Ory, inv. FAO 59160
Animer le visible
Les intentions de ces pionniers sont certainement aussi diverses qu’ils sont nombreux. Que nous disent ces images sur leurs auteurs? Si l’on change le contexte, l’époque et l’expérience de celles et ceux qui prennent une ville en photo, quelles images obtient-on? Comment prouver que Rodolphe Töpffer avait complètement tort lorsqu’il qualifiait les premières photographies d’images sans âme2?
Le regard sur une ville, une région, dépend de celui qui le pose. Et c’est cette part de subjectivité que le projet«Regards croisés sur la ville» met en avant en présentant les images commentées de jeunes adultes, originaires de pays très différents, arrivés depuis peu à Genève. Le résultat nous fait découvrir des parcours de vie très différents les uns des autres: réfugiés économiques venus quelques fois rejoindre leurs familles établies en Suisse, mineurs non-accompagnés ayant fui des pays en guerre, enfants de diplomates accompagnant des parents en mission pour une ou plusieurs années à Genève…
À travers leurs vues et leurs commentaires de la Genève du XXIe siècle, leurs expériences de la ville et différentes facettes de la cité sont à découvrir… d’un autre œil!
Notes