La «commode parlante» d’Émile Gallé
Fasciné par les bois exotiques et par ceux de sa Lorraine natale, Émile Gallé (Nancy, 1846-1904), plus connu comme verrier et céramiste, crée en 1885 une manufacture de meubles à Nancy. Près de six cents essences de bois y seront exploitées, qui évoqueront fidèlement toutes les variations de couleurs qu’offre la nature.
Le mobilier d’Émile Gallé présente les formes inspirées des styles historiques alors à la mode, mais les décors de bois marqueté et sculpté, où se retrouve son goût pour la botanique, empruntent une voie qui renouvelle le répertoire décoratif.
Affectionnant les «œuvres parlantes», c’est-à-dire portant des inscriptions, il en fait un usage unique dans l’histoire du meuble. Maximes, citations littéraires ou empruntées aux poètes classiques et modernes, ces inscriptions revêtent différentes formes. Elles évoquent l’usage du meuble ou expriment des messages forts que l’artiste invite à interpréter et dont le caractère politique, surtout à la fin de sa carrière, s’immisce intimement dans l’esthétique. Gallé établit ainsi des correspondances au sens où Baudelaire l’entendait, en associant la musique des vers ou des citations à la couleur des bois ainsi qu’au décor de l’objet.

Acquis auprès de l’artiste, le 17 octobre 1892 © MAH, photo: B. Jacot-Descombes, inv. B 32
Réalisée en 1891, la commode parlante Aux œillets, pourvue de trois tiroirs superposés et de deux portes d’encoignure de forme trapézoïdale rappelant le style Régence, fut acquise un an plus tard par le Musée des arts décoratifs de la Ville de Genève. Il est très probable qu’elle ait été réalisée sur le modèle d’une petite commode présentée à l’Exposition internationale de Paris en 1889. Contrairement à la commode parlante intitulée Le champ du sang (vers 1900), qui traduit l’indignation de l’auteur à l’égard du génocide arménien perpétré entre 1896 et 1898, celle-ci, de petites dimensions, s’inscrit dans un registre plus poétique et délicat. Il s’agit d’une commode de dame destinée à la lingerie et aux frivolités, peut-être un cadeau de fiançailles qu’évoque traditionnellement l’œillet. Symbole de l’engagement et de la fidélité conjugale dans le langage des fleurs, l’œillet est présent sur plusieurs faces du meuble et sous différentes variétés, toujours décrites par une inscription: sur le dessus, l’œillet des prés, de France et de poëte; sur le côté gauche, l’œillet bichon, flamand et Flon; sur le côté droit, l’œillet du Japon, et enfin sur la face, la Mignardise des dames.
Cette commode à la marqueterie figurative asymétrique est un témoignage éloquent de l’intérêt que porte Gallé aux thèmes de l’amour et de la nature, au curviligne propre à l’Art nouveau et aux inscriptions symboliques.