La mémoire conservée d’anciens habitants
Victimes des récentes actions destructrices du groupe extrémiste État islamique (Daech), les tours funéraires typiques du paysage désertique de Palmyre apparurent à la fin de l’époque hellénistique (Ier siècle av. J.-C.) et furent érigées jusqu’au IIIe siècle de notre ère par les riches familles locales. Symboles de la réussite économique de la ville, elles étaient ornées par les bustes des défunts sculptés en haut relief, qui scellaient l’ouverture des niches sépulcrales.
Outre quelques fragments de sarcophages palmyréniens, les collections du Musée d’art et d’histoire comptent une quinzaine de ces portraits, datés entre la fin du Ier et le IIIe siècle de notre ère, et dont la majorité fut découverte lors de « fouilles » entreprises vers 1900 par Jean Schneider, ancien chef de transport du chemin de fer qui reliait Jaffa à Jérusalem, en ces temps où la région appartenait encore à l’Empire ottoman.
Les traditions funéraires
L’oasis de Palmyre doit son essor à sa situation privilégiée sur la route des caravanes. Les produits les plus rares et les plus coûteux (perles, soie, épices, pierres précieuses) transitaient par ce centre incontournable du négoce, réunissant dans la cité les richesses de l’Extrême-Orient ou de la péninsule arabique avant de les acheminer vers d’autres contrées de l’empire romain. Des communautés palmyréniennes, établies dans la plupart des lieux de production, se chargeaient d’organiser le rassemblement puis le transport des marchandises. Les habitants, à l’origine des caravaniers nomades, sont organisés sur un modèle politique grec et, durant les trois premiers siècles de notre ère, contribuent largement au développement de l’urbanisme de la ville et à sa prospérité. Leurs monuments funéraires nous permettent de découvrir leurs visages.
À Palmyre comme dans tout le Proche-Orient romain, la tradition de l’inhumation est exclusive. Elle ne s’imposera dans le reste de l’Empire, au détriment de l’incinération, qu’à l’aube du IIe siècle ap. J.-C. La variété des traditions funéraires que l’on observe entre les diverses régions du Proche-Orient n’est pas liée, comme on pourrait le penser, à la multiplicité des cultes présents, mais repose plutôt sur les disparités géographiques et géologiques, ainsi que sur des traditions développées localement. Les Palmyréniens construisirent, dans des nécropoles établies en dehors des murs de leur cité, de nombreux monuments funéraires, pour la plupart familiaux, qui peuvent prendre la forme de tombeaux-tours, d’hypogées creusés dans des affleurements rocheux, ou encore de temples funéraires, dont le développement fut plus tardif.
Les tours funéraires, de forme carrée et comportant plusieurs étages reliés par un escalier, constituent la création architecturale la plus originale de Palmyre, sans équivalent dans l’Orient ancien. Au rez-de-chaussée se trouve une salle, destinée aux repas funéraires, ainsi que le sarcophage du fondateur du monument, richement décoré de reliefs. Aux étages supérieurs, les parois sont divisées en cavités allongées (loculi) superposées, permettant de déposer le corps sommairement momifié des autres membres de la famille. Chacun de ces compartiments – que l’on retrouve également dans les hypogées – est fermé par une dalle de calcaire carrée à l’effigie du défunt, précieux témoignage de la sculpture palmyrénienne. Une grande attention a été portée à l’expression des visages et notamment au regard, renforçant l’impression d’individualité. Certaines de ces tombes ont pu contenir jusqu’à deux cents inhumations réparties sur deux ou trois siècles.
Portraits sculptés en haut-relief
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Le style de la quinzaine de bustes funéraires conservés au Musée d’art et d’histoire mêle l’art gréco-romain aux influences orientales, notamment parthes.
Vêtu d’une tunique et de la toge, le buste de jeune homme (ci-dessus) tient dans sa main droite le bord de son habit et dans l’autre un rouleau de papyrus (volumen), insigne de sa fonction de magistrat municipal. Il porte une bague à l’auriculaire gauche. L’épitaphe, en langue araméenne, est gravée en haut à droite. Pour faciliter la lecture, on avait rehaussé les lettres de peinture rouge, dont des traces sont conservées :
« Taïmê, fils de Halaptha, fils de Taïmarsou, fils de Halaptha, fils de Siméon, surnommé Qôqah l’Ancien. »
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Le buste de la femme ci-dessus porte une tunique, un premier manteau retenu par une grosse fibule circulaire et un autre manteau qui recouvre la tête, en formant des pans, l’avant-bras droit restant nu. Les mains, disproportionnées, grossières et sans bijoux, tiennent, l’une, le bord du manteau supérieur, l’autre, une quenouille et un fuseau, symboles des vertus domestiques. La tête est entourée d’un turban à trois couches de plis retenus en bas par un diadème simple. Les cheveux sont coiffés en arrière, les mèches remontant sur le diadème. L’épitaphe en langue araméenne est également gravée en haut à droite et les lettres y sont rehaussées de peinture rouge, dont seules quelques traces sont conservées : « Battataï, fille de Yarhaï, fils de Yaïrân. Hélas! »
Ce texte a été rédigé par Jean-Luc Chappaz, Manuela Wullschleger et Nathalie Wüthrich.
Merci pour ces informations sur l’histoire des tours funéraires de Palmyre. J’ai trouvé fascinant les traditions funéraires et les portraits sculptés en haut-relief. Je pense que les bustes funéraires peuvent nous apprendre beaucoup sur ses anciennes habitants et leur histoire.