La renaissance artistique qui favorise l’école genevoise
Après une courte éclipse, due à l’évolution du goût et au développement technique de la montre – qui change de forme –, un nouvel essor est donné au décor des montres et des bijoux dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, grâce à des inventions: l’émail tendre – vers 1775 – qui donne un aspect uni et précieux – à la pièce, ou le fondant – vers 1780 –, qui protège les peintures et les fait briller. Une renaissance artistique se manifeste à Genève, favorisant l’émergence d’une «école» locale. Celle-ci s’installe dans le créneau de la production de luxe, assurant ainsi la réputation des artisans de la Fabrique de Genève en Europe et dans le monde.

©MAH, photo: M. Aeschimann, inv. H 2003-0136
Des recherches menées sur les couleurs et l’affranchissement des fournitures étrangères (l’émail blanc des cadrans est importé d’Angleterre) favorisent le perfectionnement de l’émaillerie. Les «émaux de Genève», ainsi nommés à l’étranger, sont synonymes de qualité: le terme décrit en général des émaux sous fondant réalisés par des peintres, associés parfois à des guillocheurs (pour des décors rayonnants), utilisant les exceptionnels émaux bruts, couleurs à peindre de facture locale, livrés sous forme de morceaux, de baguettes ou de poudres (Millenet, Dufaux, Dalphin …).


©MAH, photo : M. Aeschimann, inv. H 2003-0137

L’enrichissement de la gamme des couleurs et le fameux noir employé dans les champlevés marquent la production genevoise entre 1820 et 1850. Le décor est adapté au volume des objets (cachets à musique, lorgnons, lunettes, pièces de forme fantaisie….), où l’émail joue un rôle principal, en servant tantôt de fond pour faire valoir les ors et les perles, ou en utilisant le serti ou le ciselé pour encadrer la finesse d’une peinture en miniature.

Genève, XIXe siècle. Collection du MAH
Au XIXe siècle encore, la transmission des savoir-faire s’institutionnalise (École d’émaillerie, École des arts appliqués et École des arts industriels…): la volonté politique se manifeste pour le maintien des savoir-faire genevois. Mais cet effort se heurte à un affaiblissement général des arts décoratifs dans la seconde moitié du siècle; les peintres en émail, comme les artisans décorateurs, peinent à reproduire en miniature les nouvelles styles de peinture (Eugène Delacroix, Camille Corot ou Alfred Sisley…).
Nouveaux repères
La tendance s’oriente dès lors vers la redécouverte de l’école de Limoges (qui débouche sur le style historiciste de cette fin du XIXe siècle) et un rapprochement avec l’art contemporain au début du XXe siècle.

Or à cette époque, la montre bracelet ne mobilise plus le décor émaillé contrairement au bijou, flatté par le mouvement Art Nouveau, qui résiste encore jusque vers 1930. La photographie a par ailleurs remplacé le portrait peint, malgré un bref épisode consacré aux émaux photographiques.

Vers 1960, l’émail est réservé à la production de montres de grand luxe. Faute de débouchés, l’enseignement professionnel dispensé à l’École des arts appliqués dans les années 1970 est interrompu, mettant un terme – provisoire – à la tradition de l’émaillerie genevoise. Les savoir-faire se maintiennent grâce à quelques mémoires encore vives et à des émailleuses prêtes à partager leurs connaissances et les gestes du métier. Le cloisonné a d’abord été revivifié par la mode de son application sur certains cadrans de montres bracelet.

Le renouveau de l’émail dans les années 1995-2000 s’articule autour de la promotion de «l’émail grand feu», terme inventé pour illustrer les savoir-faire centenaires de l’art du feu. Aujourd’hui, l’exigence du métier reste élevée: l’émailleur doit être créateur, affirmer sa personnalité en répondant au goût des marchés, sans contrarier l’image de marque d’une maison. L’exigence de qualité est toujours présente : la re-découverte des techniques anciennes et leur interprétation soutiennent la création. Le designer est désormais étroitement associé à l’émailleur. Aujourd’hui, les quelques maisons qui produisent dans leurs ateliers des cadrans émaillés ou des fonds de montres, sont les témoins de la survivance d’une longue tradition genevoise, à laquelle elles redonnent éclat.
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