Sceaux et piété populaire à Byzance
La querelle des images saintes à Byzance a vu sa conclusion par la proclamation de la restauration définitive du culte des icônes, lors du Synode de Constantinople, en 843. Leur vénération deviendra même symbole de l’Orthodoxie, la croyance droite, expression par excellence de piété et d’identité culturelle. Au terme de presque cent-vingt ans d’une tourmente théologique qui a profondément bouleversé la vie politique, sociale, spirituelle et artistique de l’Empire et de son Église, la paix était retrouvée. Toute remise en question des images saintes et du corollaire des deux natures indissociables du Christ était dorénavant perçue comme une hérésie qui condamnait ses tenants à l’exclusion de la vie de l’Église.
Dès lors, la représentation des figures du Christ et des saints est progressivement devenue la norme pour le décor de toute surface d’expression artistique, politique ou intellectuelle, tant publique que privée.
Images saintes pour les sceaux
Les sceaux, d’un usage très répandu dans l’administration impériale et ecclésiastique, ainsi que pour la correspondance privée d’un milieu social élevé, n’ont pas fait exception. À partir du Xe siècle, les monogrammes et les motifs géométriques ou naturalistes, imposés par l’iconoclasme, ont été définitivement supplantés par des images saintes. L’expression du sentiment religieux des propriétaires des sceaux est très souvent complétée par une légende au revers, qui révèle leur identité souvent sous forme d’invocation, pour solliciter la protection du saint représenté sur le droit, tel Michel, chef des armées célestes, garde le sébaste Michel Atouémès (fig. 1).
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©MAH, CdN 2004-322
Si bien que ces bulles, outre leur fonction première utilitaire d’assurer la confidentialité et l’authenticité du document scellé, constituent aussi souvent de petites œuvres d’art, entre l’amulette et la miniature. Certains exemplaires bien conservés forcent en effet l’admiration pour le savoir-faire technique et artistique des graveurs, qui reproduisent des modèles bien connus en les transposant sur une surface dont le diamètre moyen est d’à peine 26 millimètres (fig. 2).
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Avers: Le Christ, à droite et la Vierge, qui intercède auprès de lui.
Revers: La Dormition de la Vierge. Plomb.
©MAH, CdN 2004-426
Une étude menée sur le répertoire iconographique de six-mille sceaux a inventorié non moins de cent-vingt-sept saints, prophètes et scènes religieuses différents!
Bien qu’aucune règle établie ne régisse le choix de l’image sainte, nous y remarquons quelques tendances, dont la plus commune est celle du choix du saint patron homonyme du signataire (fig. 1). Le choix par un officier de l’armée d’un saint militaire en est une autre, comme aussi le culte familial voué à une icône particulière ou à un saint, souvent patron du lieu d’origine de la famille. Ainsi la majorité des sceaux des Comnènes sont placés sous la protection de saint Georges alors que les Xéroi se remettent à saint Marc.
Parmi tous les saints, la Vierge occupe incontestablement la première place dans la préférence des signataires des sceaux, du fait de son rôle d’intercesseur par excellence en faveur des fidèles auprès de son fils, le Christ. Sainte patronne de la capitale, son effigie figure sur les sceaux des patriarches, mais aussi sur les bulles des dames et très souvent sur celles des familles constantinopolitaines. Elle est suivie par saint Nicolas (fig. 3), qui précède les saints militaires «majeurs», l’archange Michel (fig. 4), Georges (fig. 5), Théodore (fig. 6) et Démétrios (fig. 7), vénérés notamment pour leurs qualités protectrices contre le mal et les dangers.
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Avers: Buste de saint Nicolas. Plomb. ©MAH, CdN 2004-360
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Avers: L’archange Michel. Plomb. ©MAH, CdN 2004-276
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Avers: Saint Georges. Plomb. ©MAH, CdN 2004-321
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Plomb. ©MAH, CdN 2004-329
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Avers: Saint Démètrios. Plomb. ©MAH, CdN 2004-218
Saints «majeurs» et saints «mineurs»
La collection des sceaux byzantins du Musée d’art et d’histoire offre une galerie d’images saintes aussi variées que représentatives, dont certaines très belles, rares ou même uniques.
Entre les différents types iconographiques de la Vierge, celui de la Hodigitria, «la Conductrice», demeure encore aujourd’hui le plus répandu et le plus vénéré (fig. 8). Réputée avoir été créée par saint Luc lui-même du vivant de la Vierge, cette représentation met en avant le rôle de Marie dans l’incarnation de la Parole de Dieu en tant que Theotokos, celle qui a enfanté Dieu. Si ce type marial tire son vocable du monastère des Hodègôn, (des Guides) à Constantinople, où l’icône de saint Luc était conservée, on a aussi voulu voir un rapport entre l’épithète de Hodigitria, «la Conductrice», «celle qui montre le chemin», et le geste esquissé avec sa main droite levée devant la poitrine, dans la direction de l’Enfant, en montrant le chemin à suivre, qui est le Christ.
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©MAH, CdN 2004-323
Néanmoins, je me plais à attirer l’attention sur ce qui semble être un type «archaïque» de la Hodigitria, dont la sigillographie a conservé l’unique témoignage. Notre collection en offre une très belle représentation sur le sceau de l’empereur Justinien II (fig. 9). Cette image, qui représente la Vierge dans une attitude naturellement maternelle, tenant un nourrisson emmailloté, auréolé, couché dans ses bras, se rencontre avec la description donnée dans un discours du patriarche Photios, en 867: «… une mère vierge, qui tient notre Créateur à tous dans ses bras… comme un nouveau-né couché…». Le type plus austère de la Hodigitria l’ayant progressivement supplanté et les ravages de l’iconoclasme ayant très probablement fait disparaître les exemples existants, aujourd’hui, cette image est exclusivement attestée par des sceaux datant du VIIe au IXe siècle.
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Saint Orentios
La bulle de Zôsimas Rhizaios (originaire de Rhizaion) (fig. 10) est à ce jour unique à plusieurs titres: il s’agit de la seule bulle conservée à son nom, de la seule source historique qui atteste l’existence de son propriétaire; enfin, elle offre la seule représentation connue du saint militaire Orentios. D’après sa Vie, saint Orentios mourut en martyr au IIIe siècle, à Rhizaion, une localité sur la côte sud-est de la mer Noire. Or, l’absence de toute trace de son culte a poussé les Pères Bollandistes à nier son existence et mettre en doute l’authenticité de la Vie du saint. La représentation de ce saint «mineur» sur le sceau de Zôsimas se révèle d’une importance historique, artistique et religieuse majeure, puisqu’elle apporte la preuve concrète que sa vénération sur le lieu même de son martyre était bel et bien vivante à la fin du XIIIe siècle.
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Plomb. ©MAH, CdN 2004-215
Ajoutons à cela que le motif du saint cavalier est rare en sigillographie et unique dans l’acte de charger, comme le cheval d’Orentios y est figuré. C’est un élément qui, joint aux détails du harnachement du cheval et du décor dans lequel le saint cavalier évolue, plaide en faveur d’un modèle que le graveur a copié, une icône du saint patron du lieu d’origine de Zôsimas, à laquelle celui-ci était attaché.
Saint Hyacinthe et saint Georges Diassoritès
Saint Hyacinthe est présent uniquement sur les sceaux de Michel Stryphnos, et toujours par le même motif (fig. 11): aux côtés de saint Théodore, Hyacinthe, alors évêque d’Amastris, en Paphlagonie, tient la hache avec laquelle il a abattu l’arbre vénéré par les païens de sa ville, un acte qui lui a coûté la vie. Le propriétaire du sceau, bien connu des historiens byzantins pour sa carrière aussi fulgurante que contestée, est le seul membre de sa famille attesté par les sources. Son attachement à saint Hyacinthe suggère que les origines familiales de Stryphnos se situent en Paphlagonie, sinon à Amastris même.
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Plomb. ©MAH, CdN 2004-372
Saint Georges Diassoritès (fig. 12) n’est assurément pas un saint différent du saint Georges dont la vénération est très répandue. Le vocable qui l’accompagne le rattache à une région où un culte particulier lui était voué, sans doute pour quelque miracle qu’il y aurait accompli. Sur l’île de Naxos, dans les Cyclades, une église du XIe siècle lui est dédiée, mais il semble que tant le vocable que son culte aient leur origine à Pyrghi (auj. Birge), un village de montagne en Lydie (auj. en Turquie), où son église et son culte auraient supplanté le temple et le culte de Zeus (Dios hieron, en grec). Après la conquête de l’Asie Mineure par les Seldjoukides vers la fin du XIe siècle, les habitants de la région ont quitté leur pays en emportant aussi le culte local. Il n’est sans doute pas un hasard que la montagne dominant la plaine de Naxos, où le culte de Diassoritès a pris racine, porte le nom de Zas, c’est-à-dire, Zeus, vénéré aussi à Naxos dans l’Antiquité.
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©MAH, CdN 2008-49
Le signataire de cette bulle à l’image de Diassoritès, presque fleur de coin, n’est autre que le frère du futur empereur Théodore Comnène Lascaris (1205/6-1221). La présence du même Diassoritès sur un sceau de ce dernier laisse supposer un lien particulier de la famille avec ce saint ou une action militaire commune menée par les deux frères dans la région où le culte de saint Georges Diassoritès était vivant.
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