Fleurs et insectes à profusion
Ce superbe bouquet fourmille d’insectes que seul un œil particulièrement attentif pourra débusquer au milieu du velouté des pétales, des teintes vibrantes des corolles épanouies et de la profusion de fleurs de diverses variétés que personne au XVIIe siècle n’aurait pu réunir ainsi autrement que par l’artifice de la peinture. Tulipes, pivoines, roses, iris, narcisses, agapanthes, gentianes et fleurs des champs diverses… aucune de ces variétés ne s’épanouit à la même saison, ni d’ailleurs au même endroit. Et pourtant, au vu de la précision du rendu, l’artiste les a sans doute toutes eues sous les yeux, les a peintes d’après nature et réunies par la suite dans un bouquet défiant les lois du temps. Jan Brueghel, dit « de velours » en raison de sa maîtrise des fondus, s’en était fait une spécialité.
Les tulipes sont particulièrement nombreuses, notamment les bigarrées dont l’artiste est un grand amateur, traduisant l’importance de cette plante bulbeuse dans l’économie des Pays-Bas.
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Le bouquet peint défi e également les lois de la gravité, les fleurs s’empilant sans s’écraser, grimpant et s’étirant aux limites du fond sombre sur lequel contrastent leurs couleurs tantôt tendres et aériennes, tantôt éclatantes de vie. Brueghel livra une vingtaine de variations de ce motif dont l’achat permettait que d’autres profitent à leur tour de fleurs impérissables à l’inaltérable beauté.
Que viennent faire les insectes là-dedans ? Rendus avec une précision toute entomologique qui trahit le fin observateur, non seulement de la flore mais aussi de la faune, ils permettent de rappeler que Brueghel reçut les bases de sa formation artistique auprès de sa grand-mère, aquarelliste et miniaturiste. Le spectateur, même distrait, remarquera forcément le hanneton sur la table, à côté des fleurs tombées du vase et des bijoux en partie brisés, caractéristiques des vanités.
Cette catégorie particulière de nature morte rappelle la vacuité des passions, des richesses et des activités humaines et représente de façon allégorique le passage du temps et l’inéluctabilité de la mort. C’est une référence au livre biblique de l’Ecclésiaste qui débute et se clôt par ces mots : « Vanité des vanités, tout est vanité ». Les fleurs coupées seules suffisent à faire du tableau la chronique d’une mort annoncée. Les insectes, dont la vie est souvent brève, si facilement écrasés, s’accordent à cette symbolique ; tout particulièrement la mouche présente sur une pivoine rose, associée à la décomposition des cadavres et aux maladies et bien souvent aussi au diable.
Cependant, au milieu de différents coléoptères, on trouve également une coccinelle qui descend la tige d’une clochette. Appelée aussi bête à bon Dieu, la charmante bestiole rouge à pois noirs a déjà la réputation de porter bonheur. Quant à l’abeille, qui butine une rose blanche épanouie, elle symbolise dans le contexte chrétien le verbe créateur, l’intelligence divine et constitue l’un des emblèmes du Christ.
Enfin, le papillon bleu perché sur une tulipe incarne la résurrection et le salut. La composition évoque certes la vacuité de notre passage sur terre mais sans nier l’espoir d’un repos éternel serein.
Ce texte est tiré de l’ouvrage Cherchez la petite bête!, dans la série Promenades, paru en juin 2020 et disponible à la vente à l’accueil du MAH.