Un rare spécimen de spangenhelm trouvé sur le sol helvétique
Les nombreux chefs-d’œuvre rassemblés dans le cadre de l’exposition Byzance en Suisse, qui se tient jusqu’au 13 mars au Musée Rath, témoignent par leur diversité de la richesse du patrimoine byzantin conservé dans les collections helvétiques. Parmi ceux-ci figure une pièce exceptionnelle, très rare témoin de l’armement du haut Moyen Âge: un casque byzantin, dit spangenhelm1, dont le prêt a été généreusement consenti par le Musée national suisse de Zurich.
Ce casque d’apparat à armature en cuivre doré fait partie d’un petit groupe de pièces caractéristiques de l’époque des Grandes Migrations, dont seuls vingt-deux exemplaires complets sont connus. Bien que dérivant, tant par leur forme que par leur mode de construction, de modèles orientaux – dont la pénétration en Occident s’explique par les contacts permanents de l’armée romaine avec les différents peuples établis à l’est des frontières de l’empire –, ils sont indubitablement d’essence européenne, comme le montre leur aire de diffusion, particulièrement dense au nord des Alpes.

Des casques à l’origine encore méconnue
Mais à qui ces fastueux couvre-chefs militaires, qui se répartissent dans une période comprise entre la seconde moitié du Ve siècle et le tournant du siècle suivant, étaient-ils destinés? Où peut-on en situer la fabrication? Leur interprétation comme cadeaux honorifiques ou diplomatiques offerts soit par la cour de Byzance, soit par celle de Ravenne, à des seigneurs de la frange nord de l’empire, constitue l’hypothèse la plus largement répandue. Cependant, à la lumière des connaissances actuelles, il semble que ces casques, qui, dès le milieu du Ve siècle, faisaient partie de l’équipement des officiers de l’armée byzantine, aient été produits au sein de plusieurs ateliers d’armes étatiques répartis sur le territoire de l’empire. Leur introduction au nord des Alpes serait, quant à elle, le fait de soldats fédérés de haut rang de retour sur leurs terres à la fin de leur engagement.
L’exemplaire présenté ici remonte pour sa part au VIe siècle; si la date et le lieu exact de sa mise au jour ne sont pas connus, on sait en revanche qu’il a été trouvé avant 1940 à l’occasion de travaux de dragage à l’embouchure du Rhône dans le lac Léman, près de Villeneuve. Diverses explications ont été avancées pour rendre compte de cette trouvaille: le casque se trouvait-il dans une tombe située à proximité du Rhône, que le courant aurait entraînée? A-t-il été perdu au cours d’une action guerrière lors de l’invasion lombarde de la fin du VIe siècle? S’agit-il d’une perte accidentelle, ou au contraire d’un dépôt intentionnel, à mettre en relation avec des pratiques d’offrande? Si cette dernière hypothèse soulève la délicate question de l’interprétation des dépôts d’armes en milieu liquide ou humide, qui fait controverse parmi les spécialistes, on constate néanmoins que les quatre casques du même type issus du territoire de l’ancien royaume burgonde ont tous été recueillis dans de tels contextes. Par ailleurs, on sait qu’à cette époque les Burgondes ne déposaient pas d’armes dans les tombes, contrairement aux Francs ou aux Alamans; et de fait, les exemplaires recueillis en terre germanique ont presque tous été récoltés dans des sépultures.

Une pièce à la structure caractéristique
La principale caractéristique de ces casques réside dans leur mode de construction en plusieurs éléments. L’exemplaire de Villeneuve, en forme de calotte hémisphérique, est constitué de seize pièces assemblées au moyen de rivets. Six pièces en cuivre doré en constituent l’ossature: quatre bandes axiales en forme de T renversé qui se rejoignent au sommet de la calotte, où elles sont rivées à un disque surmonté d’un petit cimier tronconique. En bas, ces bandes sont assemblées à un bandeau en fer doté à l’avant d’échancrures, correspondant aux orbites et d’un nasal arrondi peu marqué; son pourtour inférieur est marqué de petites perforations destinées à la fixation de la garniture interne (aujourd’hui perdue). Quatre pièces en fer convexes, de forme rhomboïdale, viennent s’insérer dans cette structure pour former la calotte. Les garde-joues et le couvre-nuque qui complétaient le casque à l’origine ne sont pas conservés.

Cependant, à côté de la construction dont ils tirent leur nom, les casques de ce type se distinguent également par la richesse de leur ornementation, invariablement réalisée au moyen des deux techniques visibles sur l’exemplaire de Villeneuve. Là, seuls les éléments en cuivre doré ont reçu un décor: les bandes axiales et le disque sommital présentent des motifs géométriques exécutés à l’aide de différents poinçons, tandis que la feuille de cuivre doré qui recouvre le bandeau frontal est ornée d’une frise estampée à l’aide d’une matrice. S’y déroulent deux pampres stylisés entrelacés, garnis de grappes de raisin que de petits oiseaux – vraisemblablement des colombes – s’apprêtent à picorer. Ce motif d’origine très ancienne, que l’on retrouve sur de nombreuses pièces similaires, comptait au nombre des ornements préférés de l’art antique profane avant d’être repris par l’art chrétien. Toutefois, dans cette série de casques, où ce motif se combine parfois à des représentations plus explicites, comme par exemple le symbole de la croix, une lecture chrétienne dans un sens large de promesse de protection et de salut est tout à fait plausible: cette assistance divine viendrait ainsi en quelque sorte se superposer à la fonction protectrice réelle offerte par la calotte de métal, deux précautions valant mieux qu’une face aux dangers encourus lors d’une action guerrière…
1. Inv. A-38925; H. 17,7cm; l. 22,3cm; L 19,5cm. Le français ne possédant pas dʼéquivalent au terme spécifique de spangenhelm, nous conservons ici le nom allemand sous lequel ce type de casque est universellement connu
Pour une étude plus détaillée de cette pièce et les références bibliographiques, voir C. Borel, « Spangenhelm », dans M. Martiniani-Reber (dir.), Byzance en Suisse, catalogue d’exposition, Genève 2015, pp. 400-405