L’exemple d’un rasoir dans les collections du MAH…
En traversant une salle d’archéologie du MAH, un objet vous intrigue… Vous vous arrêtez pour l’observer et lire les informations qui figurent sur le cartel. Celles-ci sont lapidaires: dénomination, matériau et technique, provenance, datation et numéro d’inventaire. Vous comprenez que la plupart des informations relèvent de l’évidence; il suffit d’observer pour reconnaître la matière, la technique ou le type d’objet. D’autres indications proviennent du contexte de découverte. La datation a toutefois quelque chose d’intrigant. Comment les archéologues font-ils pour l’établir? Est-elle écrite sur l’objet? Oui, en quelque sorte… mais en langage codé.
En prenant comme exemple le rasoir I 62, exposé dans la salle «L’Italie avant Rome», revenons sur les différentes étapes qui ont permis de dater cet objet.

Voici le matériel nécessaire:
1. l’objet à étudier (ou une reproduction)
2. les documents qui le concernent (registre d’inventaire, fiche d’acquisition, etc.)
3. des ouvrages de référence
4. beaucoup de patience…
Menons l’enquête!
Les données de fouilles (stratigraphies, relevés, plans et carnets de fouilles) concernant le rasoir ne figurent pas dans les registres historiques du MAH, comme c’est le cas pour la plupart des anciennes acquisitions de musée. Alors comment procéder? Par comparaison! Le principe est simple: l’aspect d’un ordinateur de 2017 diffère de celui d’il y a dix ans, les modèles de voiture évoluent, etc. Ces changements de mode, qui permettent d’ancrer les objets dans le temps, avaient aussi lieu dans l’Antiquité. Nous pouvons donc dater ce rasoir en les comparant avec des rasoirs dont la datation est établie. Toutefois, si la mode varie au fil du temps, elle change aussi selon les lieux… Il est par conséquent très utile de connaître la provenance de l’objet.
Provenance
C’est là que les documents qui concernent l’objet sont utiles : ils indiquent peut-être son lieu de découverte. Par chance, le registre d’inventaire comporte l’information suivante: «trouvé dans les fouilles de l’ancienne Picenza sur la rive gauche du fleuve Pichendino à 1 lieue 1/2 de Salerne». On connaît bien Salerne, qui se situe en Campanie, mais on ne trouve ni «Picenza» ni «Pichendino» à proximité de cette ville.

D’après la carte archéologique, le site des «fouilles de Picenza» correspond à Picentia, soit le nom romain de l’actuelle ville de Pontecagnano, qui se trouve bien sur la rive gauche du fleuve Picentino (et non Pichendino). Les noms ont simplement mal été orthographiés.
Maintenant que nous connaissons la provenance du rasoir, il est plus facile de trouver les ouvrages de référence adéquats.
Typologie et datation
La publication des fouilles récentes et bien documentées de Pontecagnano apporte un éclairage utile sur l’étude du matériel. Les ouvrages concernant les tombes et le matériel du premier âge du fer (900 – 730 av. J.-C.) présentent des rasoirs similaires à celui du MAH. Comme leur forme varie selon les périodes du Premier Âge du Fer, nous pouvons le dater plus précisément grâce à un arbre de classification.

(reconstitution simplifiée d’après la classification de D’Agostino-Gastaldi 1988)
Le rasoir I 62 appartient donc au type 45A1b, qui correspond à la période IA, et peut-être IB, du premier âge du fer. La période IA est datée de 900 à 850 av. J.-C. et la période IB de 850 à 780 av. J.-C.
De la datation au contexte
La datation, de même que la provenance, permet de reconstituer le contexte d’où vient l’objet. Le rasoir I 62, qui appartient au mobilier funéraire masculin, se trouvait dans la tombe d’un homme. Des armes, des fibules (des sortes d’épingles à nourrice) et des céramiques accompagnaient peut-être le défunt. Suivant le rite le plus courant aux périodes IA et IB à Pontecagnano, il est probable que le défunt ait été incinéré et ses restes placés dans une urne biconique.
Lors du premier âge du fer (900-730 av. J.-C.), Pontecagnano est de culture villanovienne, comme sa voisine Capoue. Cette culture, qui précède celle des Étrusques, est bien établie dans le nord de l’Italie, en Étrurie. C’est de là que certains groupes ont migré dans la plaine du Po, en Romagne et en Campanie (cf. carte de l’Italie). À Pontecagnano, la période IA (900-850 av. J.-C.) correspond à l’installation des Villanoviens. C’est donc probablement dans ce cadre que le rasoir I 62 a été forgé puis enseveli, avant d’être découvert dans un chantier de fouilles et d’intégrer les collections du MAH…