Les travaux des archéologues Édouard et Marguerite Naville – dont les Musées d’art et d’histoire conservent d’importantes archives – servent de fil rouge à l’exposition Corps et esprits. Regards croisés sur la Méditerranée antique. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, ils ont jetés les bases de l’étude de religions anciennes, notamment égyptienne, en publiant des textes fondamentaux, dont le Livre des Morts, avant d’entreprendre des fouilles de grande ampleur, puis de définir par l’exemple les standards de qualité de l’édition de monuments par leur publication magistrale du temple d’Hatchepsout à Deir el-Bahari. Ce faisant, ils ont largement orienté notre compréhension contemporaine de l’histoire, de la spiritualité, de l’art de vivre ou de l’esthétique des civilisations antiques.
L’un et l’autre n’en ont pas moins été des acteurs engagés de leur époque, et leur apport au rayonnement de notre cité ne doit pas être négligé. Professeur d’égyptologie et d’archéologie classique, Édouard Naville (1844-1926) fut parallèlement maire de Genthod, chroniqueur occasionnel au Journal de Genève, vice-président du Comité international de la Croix-Rouge (et de facto président dès 1916, de sorte qu’il lui incomba de gérer l’Agence internationale de Prisonniers de Guerre), en plus d’un engagement auprès des mouvements évangéliques. Née Isabelle-Marguerite de Pourtalès (1852-1930), son épouse fut également une fervente militante des causes chrétiennes, le seconda activement dans ses activités philanthropiques, tout en élevant quatre enfants et en dirigeant un train de maison important. Elle accompagna régulièrement son mari en Égypte où elle se chargeait de l’intendance des chantiers de fouilles, des soins aux ouvriers, tout en prenant l’habitude de suivre attentivement les progrès des dégagements avec un appareil photographique sous le bras, ce qui nous permet de conserver aujourd’hui une documentation de premier ordre sur le déroulement des travaux. Mieux encore, elle mit son immense talent de dessinatrice au service de la recherche académique et c’est à sa main que l’on doit la plupart des planches qui illustrent les nombreux volumes publiés sous la signature de son époux.
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Enrichissement des collections
Peu intéressés par la «chasse aux trésors», ils ne constituèrent pas de collection personnelle d’antiquités. Toutefois, les Musées d’art et d’histoire leur sont redevables de plusieurs acquisitions majeures.
En 1873, de retour de ses premiers voyages sur le Nil, Édouard Naville remettait au musée un lot d’objets pharaoniques probablement originaire de Saqqarah (figurines funéraires). La provenance de ces pièces n’est pas davantage documentée, mais il pourrait s’agir de cadeaux protocolaires reçus en 1869 à l’occasion de l’inauguration du canal de Suez à laquelle le prometteur étudiant genevois avait été invité. Par la suite, notamment en 1916, ce sont des pièces disparates, mais d’un intérêt scientifique incontestable (scarabées au nom de souverains rarement attestés, ostracon littéraire, statuettes diverses) qui vinrent enrichir les collections.
En 1883, Naville – qui n’a alors aucune expérience archéologique – est désigné pour diriger les fouilles entreprises par une fondation britannique, ce qui lui permet d’explorer longuement le delta du Nil. L’Égypte n’ayant pas, à l’époque, les moyens de protéger les sites archéologiques et ne possédant pas de musées assez vastes pour recueillir les trouvailles, une large part de celles-ci est remise aux explorateurs; la fondation en redistribue une partie aux souscripteurs, dont de nombreux musées internationaux. En 1887, puis 1888, Naville exhume à Bubastis les deux moitiés d’une statue monumentale de Ramsès II. Aussitôt, il la «convoite» pour Genève et entreprend des démarches auprès des responsables de la fondation, non sans solliciter parallèlement quelques souscripteurs genevois. C’est ainsi qu’après moult péripéties, ce fleuron des collections des Musées d’art et d’histoire gagna notre cité, pour être d’abord exposée à l’étroit dans le hall de la bibliothèque avant de rejoindre le bâtiment Camoletti en 1910.

La longue fouille du temple d’Hatchepsout
La fouille du temple d’Hatchepsout à Deir el-Bahari occupa le couple durant la dernière décennie du XIXe siècle. Les reliefs de la XVIIIe dynastie restèrent heureusement en Égypte et regagnèrent leur emplacement sur les parois, alors que le matériel secondaire (le temple avait été réutilisé comme nécropole à une période plus tardive, puis transformé en couvent) fut dispersé en Grande-Bretagne. Reprenant la fouille en 1905, mais en s’intéressant à l’édifice voisin du pharaon Montouhotep Nebhépetrê (vers 2050 av. J.-C.), les archéologues se trouvèrent face à une situation très différente: le temple était quasiment arasé et ses murs réduits à l’état de ruines et d’éclats. Ceux-ci furent largement dispersés et plusieurs fragments importants parvinrent à Genève.
À la mort d’Édouard Naville, ses héritiers offrirent au musée de nombreux objets documentaires: fragments de coupes en «faïence», céramiques communes, ostraca coptes, etc. Ce lot fut complété en 1942 par une autre branche de la famille avant que des milliers de documents archivistiques (dessins, photographies, textes) ne viennent, en 2006, parachever le sens de l’œuvre de ces deux brillants compatriotes.
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Texte publié suite à l’Entretien du mercredi du 12 février présenté par Jean-Luc Chappaz.