L’exposition Corps et esprits. Regards croisés sur la Méditerranée antique fait la part belle à l’histoire des collections du Musée d’art et d’histoire. C’est dans cette même perspective de mieux faire connaître les spécificités de chacune de nos collections que peut être évoqué le cas particulier de l’archéologie régionale.
L’archéologie régionale: acquisitions anciennes et fouilles récentes
Comme le montre la sélection d’objets choisis pour retracer l’histoire du territoire genevois du Paléolithique au Haut Moyen Âge dans la présentation permanente inaugurée en 2009, la spécificité de la collection d’archéologie régionale réside dans le fait qu’elle provient, pour l’essentiel, de deux sources d’approvisionnement bien distinctes.
Elle se forme en effet tout d’abord à partir des «cabinets de curiosités» qui fleurissent tout au long du XIXe siècle et qui s’enrichissent au gré des découvertes effectuées et mises en valeur par divers savants et érudits passionnés d’archéologie. C’est à ces collectionneurs de la première heure que l’on doit bon nombre d’objets archéologiques régionaux. Pour ne citer que quelques exemples: on doit à la générosité d’Hippolyte Jean Gosse – figure centrale de cette époque, conservateur des collections archéologiques de 1863 à 1901 – outre de nombreux objets de la fin du Paléolithique provenant des abris sous roche de Veyrier, une phalère de l’âge du Bronze découverte sur le site de la station littorale des Pâquis, de nombreux objets provenant de la nécropole du second âge du Fer de Corsier, divers objets romains (lampe, récipients en céramique et en verre, fibules et autres objet en bronze ou en os) découverts aux Tranchées, sur divers sites dans la Vieille Ville ou encore près de l’ancien Observatoire; on lui doit enfin de nombreux objets de la nécropole de la Balme à la Roche-sur-Foron, datés du Ve au VIIe siècle.
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Contemporains de ces objets collectés par les premières grandes figures de l’archéologie genevoise, des dépôts viennent également enrichir les collections. On peut mentionner la fameuse statue d’aristocrate allobroge en bois, découverte en 1898 lors de la démolition du Grenier à blé, sur l’emplacement de l’ancien port gaulois de Genève, et remise au musée par la Ville de Genève la même année. Plus ancien encore et non moins emblématique de la collection régionale, le visage de jeune homme idéalisé en bronze d’époque romaine, mis au jour lors des travaux de fortification entrepris à Genève en 1715 et donné à la Bibliothèque publique. On peut citer encore une belle figurine de Sucellus découverte aux Tranchées en 1689, lors de la construction d’une fortification sur l’emplacement de l’ancien faubourg Saint-Victor.
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La deuxième source d’enrichissement de la collection découle des fouilles menées sur l’ensemble du territoire genevois par le Service cantonal d’archéologie, ou par son ancêtre le Bureau cantonal d’archéologie (1969-1985) et, encore auparavant, par l’archéologue cantonal (dès 1920). On peut ainsi voir en salle d’archéologie régionale des objets provenant de divers sites palaffitiques et de Saint-Gervais (Néolithique), de Saint-Antoine et de Vandœuvres (second âge du Fer et époque romaine), ou encore du Parc de la Grange (Néolithique, second âge du Fer et époque romaine). Les artefacts issus de ces fouilles, une fois leur étude menée à bien, sont désormais déposés au Musée d’art et d’histoire, selon la convention signée en 2011 entre le Département cantonal de l’aménagement – dont dépend le Service cantonal d’archéologie – et le Département municipal de la culture, auquel appartient le musée. Avant 2011, les collections du musée ont cependant déjà incorporé au fil des décennies un certain nombre d’objets issus de fouilles genevoises, tels une urne funéraire de la fin du second âge du Fer trouvée à la rue Etienne-Dumont (lors de la démolition de la maison Kundig), remise au Musée en 1949 par Louis Blondel (archéologue cantonal de 1923 à 1963), ou encore un fragment de médaillon d’applique figurant une scène d’adoration à l’empereur ainsi qu’une inscription à la foudre d’époque romaine – associée à une hache néolithique – découverts à Bernex en 1970 et déposés au MAH en 1975.
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Entre ces deux phases principales, l’enrichissement de la collection s’est poursuivi, certes plus modestement, par le biais de rares dons, mais surtout grâce à l’achat de quelques pièces, parfois prestigieuses, comme les cuirasses de Fillinges, acquises avec l’aide généreuse le la Société auxiliaire du musée en 1933, ou les magnifiques figurines de Vulcain (provenant d’Uriage) et d’Apollon citharède (de la Tour-de-Langin), achetées à la fin des années 1940.
La complémentarité des collections
L’exposition Corps et esprits illustre la complémentarité des collections – en l’espèce celles du MAH et de la Fondation Gandur pour l’Art. Pour l’archéologie régionale, c’est la complémentarité entre les collections anciennement constituées et celles issues de fouilles récentes qui peut être mise en évidence.
Il arrive en effet que les collections anciennes nous fournissent des éléments de compréhension pour l’étude de sites récemment dégagés. C’est le cas pour le site lacustre dit du Plonjon, fouillé récemment par Pierre Corboud pour le compte du Département d’anthropologie de l’Université, dans le cadre du projet – avorté – d’établissement d’une plage artificielle aux Eaux-Vives. Une partie des artefacts qui y ont été mis au jour ont été déposés en 2011 au musée, où ils ont fait l’objet d’une campagne de restauration-conservation avant d’être inventoriés. Or ce site était déjà connu à la fin du XIXe siècle sous le nom de «station littorale de la Fonderie», comme en témoignent un certain nombre d’objets de nos collections, parmi lesquels une applique à griffe à décor gravé exposée dans la vitrine consacrée à la métallurgie du bronze. On peut évoquer également le cas du Parc de la Grange: si les fouilles effectuées par le Service cantonal d’archéologie nous fournissent de nombreux éléments pour reconstituer la villa d’époque romaine (revêtements muraux ou de sol, système d’amenée d’eau, objets de la vie quotidienne, etc.), un élément découvert en 1888, lors de travaux sur ce qui était alors la propriété de William Favre, est particulièrement précieux pour nous renseigner sur le type de fenêtres que pouvaient comporter les façades de la demeure. Il s’agit d’un petit fragment de mica, matériau utilisé depuis l’époque de la Tène et encore en usage au Ier siècle de notre ère pour obturer les fenêtres de pièces qui ne nécessitaient pas un éclairage naturel intense – auquel cas on préférait utiliser le verre soufflé.
A contrario, des fouilles récentes éclairent parfois d’un jour nouveau un objet anciennement découvert. C’est le cas pour le fameux missorium de Valentinien, plat votif en argent daté de la fin du IVe siècle, trouvé à Carouge dans un champ près de l’Arve en 1721 et arrivé dans nos collections par l’intermédiaire de la Bibliothèque publique, où il avait été déposé dès sa découverte. Des sondages réalisés par le Service cantonal d’archéologie en 2011 le long du tracé de la nouvelle liaison ferroviaire Cornavin-Annemasse (CEVA) ont en effet permis d’identifier, non loin de l’endroit où il avait été mis au jour, un site contemporain de notre missorium, dont on entrevoit ainsi désormais un peu mieux le contexte archéologique.
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Texte publié suite à l’Entretien du mercredi du 2 avril sur le sujet.