Un œil dans les réserves V
Comme un périscope inversé qui plongerait dans les tréfonds de l’iceberg muséal, la rubrique «Un œil dans les réserves» propose de dévoiler régulièrement quelques petits trésors du patrimoine genevois. Certains objets restent en effet dans l’ombre des chefs-d’œuvre exposés en salles et mènent une existence d’objets d’étude dans le grand conservatoire que sont les réserves du musée. Afin qu’ils ne tombent pas dans l’oubli, ils sont ici mis en lumière par un détail ou une anecdote et démontrent qu’un objet, même très simple, a une histoire à raconter et peut émerveiller.
Quand l’horlogerie genevoise produit des pièces coquines…
La plupart des collectionneurs et des musées d’horlogerie – par extension d’émaillerie et de bijouterie – conservent dans leur corpus des objets dit de charme. Certains, romantiques, voire érotiques, suggèrent la séduction avec délicatesse ; d’autres, moins pudibonds, mettent l’acte en scène de façon explicite, à l’image des pièces à automates du 18e s.
Ces saynètes libertines, peintes sur émail dans une polychromie acidulée, étaient ponctuées de minuscules personnages articulés dont les mouvements illustraient le propos avec application. Elles étaient toujours soigneusement dissimulées : derrière un petit volet si elles s’affichaient sur le cadran, ou cachées dans le double fond de la boîte. Pour une parfaite discrétion, le reste du garde-temps figurait des ornements classiques, tels des angelots, d’anodines scènes de genre ou des arrangements floraux.
Aux 18e s. et 19e s., la Fabrique genevoise a eu sa production de pièces coquines, qui, même si elle est restée confidentielle, a été très courue. De grands noms y travaillèrent, à l’instar de la maison Piguet & Meylan (Genève, 1811-1828) qui signa une montre de poche, dite du Missionnaire… Citons également l’horloger Girardier l’Aîné (Genève, 1757-1839), réputé dans le domaine et dont le MAH possède 24 pièces, mais cependant aucune « à scène secrète », alors que ses commandes en regorgeaient ! Ainsi donc à Genève – capitale de l’horlogerie – les collections patrimoniales ne conservent aucun garde-temps à caractère de ce genre : un constat qui n’étonnera personne, la morale pudibonde mâtinée de protestantisme et d’austère rigueur que nous connaissons bien ne saurait commettre cet impair !
Une Valentine pour la Saint-Valentin
La pièce sur laquelle nous nous arrêtons en ce mois de février est unique au sein des collections d’horlogerie, d’émaillerie et de bijouterie du Musée d’art et d’histoire : il s’agit d’un charm, la seule pièce à caractère osé que nous conservions, toute retenue genevoise respectée.
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Cette petite demoiselle est vêtue d’une robe victorienne en dentelle blanche enrubannée de nœuds roses qui peut se soulever puis se retirer entièrement, découvrant son corps nu. La pudeur est ici de mise, avec des bras repliés contre le corps et la tête légèrement penchée sur la gauche, dans une attitude résignée.
Les traits de la petite silhouette sont presque naïfs et les détails liés au genre traités avec une chasteté de dessin d’enfant : l’accent est mis sur la rondeur des chairs, par un jeu d’ombres galbées, et sur la présence de bas couleur ivoire soulignant la nudité volée.
En ce mois lors duquel l’amour est à la fête, nous avions à cœur de partager ce charm victorien, unique en son genre au sein des collections du MAH… Un clin d’œil coquin qui reste bien sage comparé à la production horlogère de montres à caractère érotique, qu’une simple recherche sur internet vous permettra de découvrir en image 😉