Une table ronde à la Maison Tavel s’interroge sur ce voyage immersif.
Depuis le 12 avril, la Maison Tavel propose de découvrir l’expérience de réalité virtuelle Genève 1850. Construit à partir des données 3D issues de la numérisation du Relief Magnin, le dispositif technologique conçu par la Fondation Artanim en collaboration avec le Musée d’art et d’histoire offre un voyage immersif dans la Genève qui s’apprête à basculer dans la modernité. À l’occasion de La Nuit des musées, la Maison Tavel et l’association Atlas du Quotidien organisent une table ronde autour de cette expérience au succès public immédiat¹. Un panel d’intervenants issus de différents horizons disciplinaires (historiens, sociologues) abordera certaines des questions soulevées tout au long du développement de cette animation de réalité virtuelle: quel rapport à l’Histoire Genève 1850 met-elle en jeu? Dans quelle mesure un tel dispositif permet-il de mieux comprendre le passé? Quelles données échappent à une telle représentation? L’expérience proposée est-elle véritablement «révolutionnaire»?
Le passé restitué
Par ses qualités immersives, le dispositif élaboré par Artanim et le MAH s’inscrit dans l’héritage d’une philosophie de l’Histoire qui conçoit la restitution du passé comme la mission première de la discipline. En d’autres termes, il s’agit de rendre l’absent présent. Aussi, des lignes de continuité se dessinent entre les écrits d’un historien comme Jules Michelet visant à restituer la teneur sensorielle des événements de la Révolution française et cette animation de réalité virtuelle, qui plonge les visiteurs dans une reconstitution de la Genève de 1850. La table ronde permettra de revenir sur cette conception de l’histoire, ses enjeux et ses limites – dans quelle mesure peut-on restituer le passé? Un tel rapport à l’Histoire nous permet-il encore d’appréhender ce qui nous différencie des hommes et des femmes d’ères historiques révolues?
Histoire et anthropologie
La confrontation à ce qui est autre permet de faire un pont vers une discipline dont les savoirs seront convoqués: l’anthropologie. Le visiteur de Genève 1850 ne ressemble-t-il pas à l’ethnologue face à son terrain de recherche? Les deux ne sont-ils pas confrontés à une forme d’altérité envers laquelle ils sont amenés à faire évoluer leur regard? En somme, l’historien n’est-il pas l’anthropologue du passé? Si l’on a longtemps pu dire que l’un travaillait à partir de sources médiatrices du passé et l’autre sur les données brutes d’un présent en perpétuel mouvement, cette ligne de partage n’est-elle pas profondément redessinée à l’heure du numérique?
Genève 1850, en tant que dispositif médiateur, porte la marque d’une subjectivité. La représentation de Genève que l’expérience propose n’est pas exhaustive. Quelles données lui échappent? Qu’est-ce que le dispositif ne montre pas ou ne peut pas montrer? De par sa visée immersive totalisante, la technologie de réalité virtuelle tend à faire oublier son caractère partial. Est-elle «révolutionnaire» pour autant? Un tel étiquetage tend à éclipser la longue tradition des techniques d’inscription du relief dans l’image et des dispositifs de simulation dans laquelle Genève 1850 prend place. Le développement de la perspective à la Renaissance et l’essor des panoramas du XIXe siècle ne portent-ils pas eux aussi la trace d’un désir d’immersion dans la profondeur de l’image?
Texte rédigé par Émilien Gür
La table ronde aura lieu le samedi 18 mai de 18h à 20h à la Maison Tavel. Entrée libre.
Intervenants: Joëlle Droux, historienne (UNIGE), Alexandre Fiette, conservateur responsable de la Maison Tavel, Olivier Glassey, sociologue (UNIL) et directeur du Musée de la main, Estelle Sohier, Département de géographie et environnement (UNIGE).
Modération: Isabelle Milbert, Professeur honoraire, politologue et anthropologue (IHEID).
Organisateurs: Alexandre Fiette, Émilien Gür, Pamina Monaco.