Nouvelles installations dans la salle Pradier au MAH
Le chantier des collections des Musées d’art et d’histoire a débuté il y a près d’un an. Cette opération exceptionnelle – que l’institution met en œuvre pour la première fois – occupera un nombre important de collaborateurs, issus de divers domaines, et mobilisera des moyens techniques et financiers conséquents durant les années à venir. Les professionnels de musée, impliqués peu ou prou dans le projet, appréhendent naturellement la richesse et la complexité d’un ouvrage de cette envergure. Mais qu’en est-il du public ? Comment lui faire découvrir et connaître ce colossal travail de fond?
Depuis le mois de décembre 2016, la salle Pradier du Musée d’art et d’histoire, située entre la Salle des Armures et la salle de l’AMAM, est dédiée à la présentation du sujet. Au gré des mois et des années futurs, elle s’agrémentera de nouvelles propositions dévoilant les avancées des travaux. Indépendamment de panneaux explicatifs et d’un compteur égrenant symboliquement le nombre d’œuvres et d’objets d’ores et déjà traités par les équipes, la salle abrite deux dispositifs qui méritent ici quelques commentaires.
Les clips réalisés par les élèves du CFP Arts
C’est la deuxième fois que les MAH collaborent avec le Centre de Formation Professionnelle Arts. Notre premier projet en commun, réalisé dans le cadre de l’exposition Humaniser la guerre ? CICR 150 ans d’action humanitaire (30.04 – 20.07.2014), s’était révélé aussi passionnant à développer qu’il avait rencontré un franc succès auprès du public. La section «danse interprétation orientation contemporaine» de l’école comprenait notamment la performance Cata’strophe, du chorégraphe suisse Foofwa d’Imobilité, à l’occasion de la Nuit des musées; de leur côté, les élèves de la branche «interactive media design» avaient réalisé des clips autour de la notion de «qu’est-ce qu’une victime?». Une vraie réussite!
Pour ce projet de la salle Pradier, nous nous sommes à nouveau rapprochés des enseignants et étudiants de cette discipline pour leur proposer de réfléchir sur la vie de l’objet de musée. L’accent a été porté sur les anciennes réserves, lieu cristallisateur de ce qui n’est pas visible pour le public et qui recèle assurément une certaine dose sinon de magie, du moins de mystère, à l’image de la plupart des tâches entreprises lors d’un chantier des collections.
Force est de constater que les étudiants ont d’emblée été séduits. Reçus dans les anciens dépôts de l’institution, ils ont assisté à plusieurs présentations du processus engagé, données par les équipes en place. Leurs films, réalisés dans un temps relativement court, méritent plus qu’un coup d’œil; la qualité est indéniablement au rendez-vous. Le spectateur y reconnaîtra à coup sûr des influences du cinéma d’aujourd’hui, une manière comme une autre de rendre accessible un sujet aussi complexe. Ces productions démontrent parallèlement la manière dont de jeunes gens en formation se sont brillamment approprié une problématique ardue. Afin d’en faire profiter le plus grand nombre, les films sont diffusés dans l’espace d’exposition; la parution de cet article de blog inaugure leur diffusion sur nos réseaux sociaux.
Et si le visiteur pouvait découvrir l’ensemble des collections du MAH d’un seul geste…
Afin de recontextualiser le chantier des collections, il s’imposait également de mettre en valeur le nombre important d’œuvres et d’objets qui constituent les fonds des Musées d’art et d’histoire – plus de 600’000 –, et leur appartenance à différents domaines de l’art et de l’histoire. Trois experts en numérique indépendants, Sophie Czich, Dimitri Delcourt et David Hodgetts, ont accepté de mettre à profit leurs compétences en matière de conception, de design d’interaction, de développement et de mise en espace, et de relever le défi. Et il était de taille: comment rendre compte de la multitude des œuvres en présence et illustrer les liens qui existent entre elles, le tout en axant l’approche sur le chantier des collections et en offrant au public un rôle actif ?
L’installation réalisée n’a de simple que l’apparence. À son entrée dans la salle, le visiteur ne peut être qu’attiré par le podium qui s’élève en son centre, face à une douzaine d’écrans élégamment montés sur des socles. L’un d’eux sort du lot. Placé au milieu, il est aussi plus grand que les autres. Sur le podium est ouvert un livre épais, véritable grimoire recelant des myriades de codes-barres, chacun relié à un objet des collections. Une fois le livre ouvert, l’utilisateur sélectionne l’un de ces codes-barres au moyen d’une douchette. Son geste, renvoyant à celui, quotidien, des professionnels de musée scannant l’élément attribuant à chaque objet son identité, fait apparaître la pièce choisie sur l’écran principal. Les œuvres qui s’affichent sur les autres moniteurs semblent apparaître au hasard. Il n’en est rien. En réalité, si le choix des juxtapositions en regard du panneau central se fait bel et bien de manière aléatoire, il s’opère dans un seul et même domaine de collection. Par son caractère non répétitif, ce jeu des apparitions d’objets connexes est sans limites. Ce qui signifie qu’à terme, en théorie, un utilisateur appuyant à l’infini sur le déclencheur de la douchette aura vu l’ensemble du fonds concerné et, ainsi, l’ensemble des collections des Musées d’art et d’histoire.
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Jorge Luis Borges pour inspiration
Le dispositif est aussi poétique qu’il est pertinent dans le contexte qui nous occupe. En effet, il s’inspire de la fameuse Bibliothèque de Babel, nouvelle écrite par Jorge Luis Borges et parue en 1941. L’auteur argentin y décrit une immense bibliothèque, constituée d’une multitude de salles semblables les unes aux autres, contenant des rayonnages strictement identiques. Sur ces étagères sont rangés des livres comptant tous 410 pages. Sur chacune des pages de chacun des livres, se succèdent 40 lignes d’environ 80 caractères, qui ne forment pas de mots. Cet ensemble, par les combinaisons infinies de lettres qu’il contient, renferme l’ensemble des livres d’ores et déjà écrits et ceux qui ne le sont pas encore. Dans la conclusion de la nouvelle de Borges, on peut lire: «le désordre apparent, se répétant, constituerait un ordre, l’Ordre». Ce principe touche aux fondements du développement informatique où, à partir d’un nombre limité de caractères, toutes les suites sont possibles, certes jusqu’à une limite, mais si lointaine qu’elle paraît abstraite.
Ainsi, l’approche de la problématique sous-tendue par les riches et diverses collections s’avère plus que pertinente de la part des concepteurs, tant sur la forme – il est à noter que le fameux grimoire compte 400 pages, et 40 codes-barres par page – que sur le fond. Elle a séduit d’emblée celles et ceux qui pilotent le chantier des collections et tentent de faire connaître et de mettre en valeur leur travail; gageons qu’elle séduira également les visiteurs, curieux des travaux menés en coulisse par l’institution.