Dialogue entre générations à la Maison Tavel
Comment l’histoire personnelle et subjective de chacun peut-elle épauler la compréhension de l’Histoire avec un grand H? Grâce à leur vécu, les seniors ont un vaste champ de connaissances à transmettre aux plus jeunes. Mais quel exercice mettre en place pour faire entrer différentes générations en relation? Tel était le pari d’un mardi après-midi de novembre 2018, à la Maison Tavel.
Cet automne, la demeure a en effet été le cadre d’une belle rencontre entre des aînés de Cité seniors et une classe de 6p genevoise: d’un côté, les témoins d’un passé récent, et de l’autre des petits curieux avides de savoir comment l’on vivait au milieu du siècle dernier. Inspiré par des objets encore plus anciens présentés dans la plus vieille des maisons genevoises, devenue musée il y a plus de trente ans, ce dialogue a favorisé la transmission entre les générations en donnant la parole aux aînés. Pour les enfants, cette approche de l’histoire de la vie quotidienne est rendue très concrète par des récits de vie de première main!
De l’histoire individuelle à l’histoire collective
Lors de visites d’expositions ou des collections historiques, en particulier lorsqu’il s’agit d’histoire locale et/ou contemporaine, certains épisodes peuvent en effet faire écho chez le visiteur: soit parce qu’il a lui-même vécu une partie des événements contés, soit parce que le sujet éveille chez lui des souvenirs intimes. Le visiteur peut ainsi s’approprier les sujets et cette approche personnelle facilite le rôle du médiateur en favorisant la rencontre entre le public et les collections.

La Maison Tavel fait voyager dans Genève à différentes époques et permet d’appréhender la question de la vie au quotidien: la maison forte de la famille Tavel reconstruite en partie après l’incendie de 1334 plonge le visiteur en plein Moyen Âge, les objets de l’Escalade et les différentes vues de la ville fortifiée le projette au début du XVIIe siècle, alors que l’appartement du 2e étage lui fait découvrir un intérieur bourgeois des XVIIIe et XIXe siècles.
Dialogue intergénérationnel
Avec cette perspective, une classe d’élèves de l’école primaire est venue découvrir la Maison Tavel, en abordant quatre sujets particuliers: l’habitat, le transport, l’eau et la nourriture. En parallèle, un groupe d’aînés est venu lui aussi découvrir la demeure et ses collections. Les enfants ont ensuite travaillé en classe à l’élaboration de questions qu’ils avaient envie de poser à des personnes nées entre les années 1940 et 1950, pour comprendre leurs vies quotidiennes, en particulier au cours de leur enfance.
Le 20 novembre, les historiens en herbe en petits groupes de cinq ou six élèves ont interviewé les sources vivantes, soit un ou deux aînés, en posant des questions sur leur manière de vivre (avaient-ils leur propre chambre et leur lit personnel? Où partaient-ils en vacances et comment?) et leurs goûts plus personnels (qu’était leur repas préféré? À quoi aimaient-ils jouer?).

Lorsque, par exemple, le groupe de cinq enfants d’une dizaine d’années demande à Kate Harmer, née en Angleterre dans la banlieue de Londres en 1944, si elle avait la télévision, le silence se fait: «Nous avons été les premiers de ma rue à avoir une télévision, répond-elle. Je me souviens bien que le 2 juin 1953, pour le couronnement de la Reine Elisabeth II, tous nos voisins sont venus chez nous assister à la diffusion de l’événement sur notre toute petite télévision noir et blanc».

Observer la manière dont tous s’étaient bien préparés à cette rencontre, et dont ils ont profité de cet échange, était fantastique. Les enfants posaient les questions et prenaient des notes, rebondissaient et s’étonnaient des récits racontés par les seniors qui avaient tant à partager. Une fois tous réunis, les enfants ont raconté ce qui les avaient le plus touchés: les histoires de fin de guerre, de rationnement, mais aussi l’avènement dans les familles des premières télévisions, du téléphone et des voitures.
Chacun est reparti riche de cet échange et étonné d’avoir eu tant à raconter et à entendre! Et les murs presque millénaires de la cave de la maison vibrent encore de cette rencontre et du beau moment de partage que le lieu a provoqué…