Fragiles témoins de cinq siècles d’histoire
Le chantier des collections a fourni l’occasion de faire le point sur les quelque deux cent cinquante drapeaux conservés au Musée d’art et d’histoire. Il était difficile d’avoir une vue d’ensemble de cette collection, dont les pièces étaient dispersées sur plusieurs sites et souvent dépourvues de marques d’identification ou démembrées. De surcroît, les dimensions imposantes et la grande fragilité de certaines d’entre elles requièrent des précautions, toute manipulation étant potentiellement préjudiciable. Un patient travail de documentation a permis de les identifier dans les anciens inventaires et de restituer la plupart des ensembles, le résultat ainsi obtenu laissant mieux cerner les contours d’un fonds d’une grande variété, couvrant cinq siècles d’histoire militaire et civile à Genève, mais aussi en Suisse et à l’étranger.
Un objet hautement symbolique
Bannières, étendards, cornettes, guidons… Ces quelques termes – parmi de nombreux autres utilisés en vexillologie pour définir un drapeau selon sa forme ou sa fonction – témoignent de l’importance accordée à cet objet d’usage martial très ancien, investi dès l’origine d’une portée symbolique dépassant sa simple valeur matérielle en tant que signe distinctif personnel ou collectif, ou encore comme attribut d’une fonction particulière. Importance confirmée par le caractère unique des exemplaires anciens, souvent réalisés dans des étoffes précieuses garnies de passementerie et rehaussées de décors peints ou brodés. À la fois moyen d’identification et de signe de ralliement, cette pièce d’étoffe attachée à une hampe porte les couleurs ou les emblèmes de l’entité qu’elle représente, que celle-ci soit militaire, étatique ou sociale. Ces différents aspects sont illustrés dans la collection du MAH, riche en exemplaires d’une grande rareté.
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Le terme de cornette désigne, aux XVIe et XVIIe siècles, un étendard de cavalerie de forme carrée
Le fonds d’enseignes militaires
Parmi les points forts de la collection brièvement évoqués ici, les drapeaux militaires, témoins de l’évolution de l’organisation des troupes genevoises des débuts de la République réformée (1536) à l’époque contemporaine, constituent la catégorie la plus représentative avec près de la moitié des pièces conservées. À l’intérieur de ce corpus principalement issu du fonds de l’ancien Arsenal, le groupe des drapeaux traditionnellement associés aux combats qui opposèrent Genève à la maison de Savoie dans la seconde moitié du XVIe siècle et au début du siècle suivant occupe naturellement une place de choix [fig. 2]; la valeur de trophée accordée aux pièces prises à l’ennemi durant cette période clé de l’histoire genevoise explique sans doute que ces fragiles étoffes soient parvenues jusqu’à nous en dépit des problèmes de conservation qu’elles posent [fig. 3].
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Entre 1850 et 1870, les drapeaux les plus anciens ont été transposés par collage sur un support textile, opération qui a engendré des effets délétères, altérant les couleurs d’origine et rendant le tissu comme son support très friables. Leur restauration peut s’avérer problématique, comme dans le cas de cette pièce pour laquelle une élimination de l’encollage entraînerait la perte du décor.
Le musée abrite aussi quelques précieuses enseignes des différents Exercices militaires genevois (corporations militaires instituées dès le XVe siècle pour la défense de la ville et placées sous le contrôle de la Seigneurie), comme par exemple le Noble Exercice de l’Arc, doyenne des sociétés genevoises encore en activité [fig. 4].
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©MAH, photo : F. Bevilacqua, inv. AA 2017-251
De nombreuses autres sociétés militaires sont également représentées, à l’exemple de celle des Bellotiens ou Bellossiens (1762-1782), créée pour le tir au canon sur le modèle des Exercices militaires, mais qui s’en distinguait par son indépendance vis-à-vis du gouvernement, constituant ainsi la première société militaire libre [fig. 5].
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Cette pièce dotée d’une hampe richement marquetée portant le nom de Marc-Antoine Gillet, roi des Bellotiens en 1779, est l’un des fleurons de l’ensemble de drapeaux parvenus au musée grâce au legs de Gustave Revilliod (1817-1890), fondateur du Musée Ariana
Aux bannières militaires genevoises viennent enfin s’ajouter plusieurs drapeaux suisses ou étrangers, entrés dans la collection par le biais de dons et d’achats, au premier rang desquels figurent deux rarissimes témoins du service de France: le premier, triangulaire, du régiment de Roll (1641-1649), le second du régiment de Greder allemand (1686-1716), datant des dernières années du règne de Louis XIV [fig. 6].
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Exemple de restauration des drapeaux par plastification, procédé expérimenté en Suisse dans les années soixante
Reflets de la vie politique et sociale genevoise
Quant aux drapeaux civils, ils reflètent les différents aspects de la vie politique et sociale de Genève au cours des trois derniers siècles. Parallèlement aux enseignes communales, cantonales et nationales, la collection compte plusieurs drapeaux liés à des périodes ou à des événements marquants de l’histoire locale. Ainsi les bouleversements politiques de la fin du XVIIIe siècle, qui, dans le sillage de la Révolution française, devaient profondément modifier le paysage politique de Genève et de ses environs [fig. 7], puis plus tard l’entrée dans la Confédération suisse (1815) et l’insurrection du faubourg ouvrier de Saint-Gervais en octobre 1846 qui porta le gouvernement radical de James Fazy au pouvoir, ont-ils leurs témoins vexillaires.
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Le XIXe siècle voit par ailleurs l’éclosion de nombreuses associations qui possèdent toutes leur drapeau et rivalisent dans le soin apporté à sa fabrication: sociétés d’étudiants ou de travailleurs, confréries, sociétés de secours mutuels, cercles littéraires, sociétés chorales ou sportives se fédèrent sous une bannière que caractérisent des inscriptions, des devises et des décors symbolisant la vocation de l’entité qu’elle représente [fig. 8, 9, 10].
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