Présentation des objets issus du trafic illicite exposés au MAH (3/3)
Le 22 novembre 2016, le Ministère public de Genève a confisqué neuf biens archéologiques exceptionnels provenant de trois pays: Yémen (5 œuvres), Syrie (3) et Libye (1). Tous proviennent de pillages. L’affaire a débuté par un contrôle de routine de l’Administration fédérale des douanes, en avril 2013, aux Ports Francs. Ces pièces y ont été entreposées illicitement entre 2009 et 2010, soit avant le début des conflits syrien et libyen. Sur dénonciation des douanes, fin février 2016, une procédure pénale a été ouverte, qui a abouti à la confiscation des biens.
Le Musée d’art et d’histoire s’est vu confier, à titre temporaire, par le Ministère public, ces neuf pièces pour en assurer la conservation et les présenter au public. À terme, elles seront restituées à leurs pays d’origine. Conservatrice en archéologie gréco-romaine au musée, Béatrice Blandin s’est penchée avec son équipe (Nathalie Wüthrich et Marie Bagnoud) sur ces objets et livre ici le résultat de ces recherches.
Libye: les germes du commerce illicite avant le chaos
Sur les neuf biens confisqués, un seul provient, selon toute vraisemblance, de Cyrénaïque, en Libye. Emblématique de l’hellénisation du pays et plus largement de l’Afrique du Nord, cette pièce revêt une certaine importance. Toutefois, son contexte archéologique étant inconnu, son identification exacte et la détermination de sa fonction sont impossibles, comme c’est le plus souvent le cas pour les œuvres provenant du trafic d’antiquités. On soupçonne ici un trafic plutôt local et visant les touristes, cette pièce ayant été importée en 2009, soit avant que la chute du régime de Kadhafi (2011) et son corollaire d’instabilité civile et politique ne favorisent la prolifération de fouilles clandestines alimentant un commerce illicite à plus grande échelle.
9. Tête féminine (Aphrodite ?)
Probablement Libye, Cyrénaïque
Fin de l’époque hellénistique, Ier siècle avant J.-C. – début Ier siècle après J.-C.
Marbre à patine rougeâtre, H. 22 cm

Inclinant légèrement la tête sur le côté, cette femme a un visage jeune, idéalisé et peu expressif. Le menton est assez lourd, la chevelure arrangée d’une manière relativement commune. Les mèches frontales, ondulées et légèrement bouffantes, sont séparées par une raie médiane et encadrent le visage, pour former un chignon sur la nuque. L’arrière du crâne est peu travaillé.
Cette tête féminine est entièrement recouverte d’une patine rougeâtre, caractéristique des marbres ayant longtemps séjourné dans un environnement quartzique, ce qui permet d’en supposer l’origine. La Cyrénaïque est en effet l’une des rares régions du pourtour méditerranéen où l’on trouve de la «terra rossa» et des marbres de cette qualité. La patine qui recouvre la cassure du cou, mais aussi celles du nez et du menton, nous assure que la tête n’a pas été séparée du corps de la statue à date récente.
Extraite de son contexte archéologique, cette pièce est d’interprétation difficile. Représente-t-elle une divinité? Une Aphrodite, en raison du succès de la déesse en Cyrénaïque? L’absence d’attribut ne permet pas de trancher. Quelle était sa fonction? Était-ce une offrande votive, une statue ornementale, commémorative? Les portraits funéraires étant voilés ou amorçant un geste de voilage, qui implique qu’un pan de tissu touche le visage, cette fonction peut être écartée.
Pour en savoir plus:
Patrimoine en danger: Introduction
Patrimoine en danger: le Yémen (1/3)
Patrimoine en danger: la Syrie (2/3)