Le tableau de Claude Monet intitulé les Pivoines, daté de 1887 et présenté dans les salles beaux-arts du Musée d’art et d’histoire, interpelle certains visiteurs. Ne serait-il pas présenté sens dessus-dessous, nous demande-t-on parfois?
Pourtant, ainsi que le confirme le positionnement de la signature (en bas, à gauche, en jaune), le tableau n’a pas été accroché à l’envers.
Ce tableau montre, dans le registre supérieur, un toit de chaume reposant sur des poteaux et de minces troncs d’arbres, et, dans le registre inférieur, des massifs de pivoines de différentes couleurs. La fragile construction avait pour but de protéger les fleurs, très recherchées, de l’intensité de la lumière.

La composition, dont il existe une autre version au Musée national d’art occidental de Tokyo, et une autre encore dans une collection privée, est intentionnellement saturée de couleurs et volontairement confuse et étouffante. Monet se sert des fleurs afin de pousser l’étude de la couleur à l’outrance et d’annihiler les notions d’espace et de perspective. C’est une des raisons d’être de son jardin à Giverny, où la culture «artificielle» des plantes, à laquelle il consacre autant d’argent que d’énergie, lui permet de créer les motifs picturaux dont il a besoin. En parallèle, il recherche, hors de son jardin, des vues plus largement ouvertes sur des paysages plus structurés (des alignements de peupliers, Antibes, etc.).
Cette impression d’étouffement et de fusion des formes se retrouve exacerbée à la fin des années 1910, dans des séries comme celles des «ponts japonais», des «bassins aux nymphéas» et des «allées de rosiers».
On a plus volontiers considéré ces effets comme les conséquences de la cataracte dont souffrait le peintre, que comme une continuité de sa fascination pour les espaces saturés, hautement colorés et confus jusqu’à l’abstraction. De même que la réapparition de formes plus calmes et plus lisibles, à partir du début des années 1920, a été associée aux effets de l’opération que le peintre subit en 1923, plus qu’au retour à l’ordre et au classicisme que vivent alors la peinture et la sculpture.
À noter que c’est en découvrant, non pas les Pivoines mais les Meules, réalisées par Monet un an plus tard, que Kandinsky a eu l’intuition du pouvoir de la couleur, de l’inutilité du sujet et de l’abstraction.