Redécouvrir la photographie grâce à Révélations
Elle était autrefois l’aboutissement d’une série d’étapes délicates, longues et coûteuses; elle est devenue spontanée, immatérielle, facile à modifier. Les appareils étaient autrefois lourds et encombrants; ils se dissimulent aujourd’hui dans les circuits de nos téléphones portables. Il fallait autrefois faire preuve de patience avant que les prises de vues ne nous reviennent révélées sur papier; plus d’attente désormais: ces mêmes prises peuvent être effacées ou conservées et envoyées à des milliers de kilomètres. Depuis l’inscription de son brevet en 1839, la photographie, comme tant d’autres inventions du XIXe siècle, a d’abord séduit les élites pour rapidement s’en affranchir. Comme l’avion, comme le train, elle est aujourd’hui partout présente, à tout moment disponible, voire indispensable. Mais la photographie a ceci de particulier: elle est multipliable à l’envi. Avantage? Désavantage? La photographie fait partie de ces découvertes dont on ne saurait se passer, un outil simple mais sophistiqué que l’on aime et que l’on aime aussi détester. Pour certains, elle aurait envahi et banalisé le quotidien; pour d’autres au contraire elle est témoin objectif, engagement responsable, matériau d’art unique et point de vue d’auteur; ou encore instrument utile, docile, muet et serviable; ou même preuve irréfutable ou réfutable, empreinte mémorielle, machine à voyager dans le temps et réservoir inépuisable de nostalgies.
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©MAH, photo: M. Sommer
Camera oscura augmentée
Un détail nous aurait-il échappé? Un renversement se serait-il produit à notre insu? Cette camera oscura augmentée (comme on dit de la réalité qu’elle peut l’être) et dont avaient rêvé les peintres depuis si longtemps, a commencé par mettre le monde à distance. Mieux encore, cette mécanique capable de saisir la vérité, de cadrer le réel et de suspendre le temps qu’est la photographie nous a permis de redécouvrir le monde, et même de le découvrir. L’émerveillement était de taille mais, l’objectif n’étant pas sentimental, l’effroi l’était tout autant. Et l’effroi est attirant, autant que l’émerveillement: l’addiction à l’image photographique était inévitable et, discrètement d’abord, irréversiblement ensuite, le numérique succédant à l’analogique, nous sommes tous devenus photographes. La photographie, source de déceptions et d’enthousiasmes depuis le premier jour s’est mise à nous révéler, à compte nos succès comme nos errements. Il nous suffisait de lui attribuer quelques statuts bien pensés, de la qualifier de scientifique, d’amateur, d’artistique, de documentaire, d’historique, pour nous faire croire que nous la maîtrisions – mais il est devenu impossible de ne plus la considérer autrement que dans son ensemble. Avantage? Désavantage? Aujourd’hui – sans vouloir jouer sur les mots- la photographie nous réfléchit parce qu’elle est le reflet de l’histoire et de la société. Nous découvrons non seulement que la rareté d’autrefois créait un manque et que l’abondance d’aujourd’hui nous blase, mais aussi que l’image photographique nous ressemble. Et cela nous déconcerte.

©MAH, photo: M. Sommer
Redécouvrir la photographie
Troppo vero! se serait exclamé le pape Innocent X face à son portrait. Velázquez, le maître de l’illusion, savait peut-être qu’un jour, à force de vouloir regarder le réel dans les yeux, l’être humain inventerait l’instrument susceptible de lui renvoyer son image et que celle-ci serait d’une implacable mais obsédante vérité. Alors pourquoi ne pas prendre un peu de distance? Pourquoi ne pas, loin des réponses et des conclusions hâtives, s’arrêter et contempler notre image dans le miroir photographique, et redécouvrir non pas le monde, mais le médium qui nous l’a rendu tangible? Et reconnaître, à travers les facettes utiles, pragmatiques, subtiles et esthétiques de cette fidèle compagne qu’est devenue la photographie, que derrière toute déception, réside la joie insoupçonnée de la désillusion qui n’est autre chose que l’art de se détromper. Pour redécouvrir la photographie, Révélations|Photographies à Genève propose simplement de s’en émouvoir à nouveau.
Ce texte est paru à l’occasion de l’exposition Révélations|Photographies à Genève, du 27 mai au 11 septembre au Musée Rath