Plongeon dans la Genève du siècle passé
Légué au Musée d’art et d’histoire en 1950, Baigneurs au bord de l’Arve du peintre genevois Léon Gaud (1844-1908) nous emmène à la découverte de la Genève du tournant du XXe siècle. Mais de quelle année précisément? Non datée, cette toile est l’occasion de mener l’enquête, en se basant sur l’environnement reproduit par l’artiste.
Une topographie familière
Au premier plan, des jeunes garçons se déshabillent et pataugent dans une rivière beige, brune et – si l’on observe les deux intrépides qui ont déjà un pied dans l’eau – froide ; il s’agit de l’Arve. En arrière-plan, des falaises, celles de Saint-Jean, au pied desquelles un fleuve d’un bleu-vert, presque émeraude, coule ; il s’agit du Rhône. Séparés par une langue de terre, les deux cours d’eau se rejoignent sur la gauche du tableau, au niveau de la pointe de la Jonction.
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Dans cette composition, aussi réaliste qu’une photographie, Léon Gaud a retranscrit avec une grande minutie chaque lieu et chaque bâtiment. Élève de Barthélémy Menn comme son contemporain Ferdinand Hodler, Gaud s’est toutefois différencié de son camarade qui effaçait routes, constructions ou toute autre trace de civilisation. Grâce à ce paysage si précisément représenté, l’on peut déduire la date à laquelle Gaud a réalisé ce tableau.
Dater un tableau grâce à l’urbanisation
L’artiste naît en 1844 et meurt en 1908: la période se situe donc durant le dernier tiers du XIXe ou au début du XXe siècle.
Au centre de la composition, une cheminée verticale s’érige dans le ciel. C’est celle de l’actuel centre culturel alternatif Usine Kugler, du nom de l’entreprise de robinetterie qui racheta les lieux en 1934. Le bâtiment et ses hauts fourneaux ont été construits en 1899 par les frères Gardy, propriétaires de l’usine qui fabriquait toutes sortes d’isolants en porcelaine pour appareils électriques.
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Épreuve photographique argentique encollée en plein sur carton
©Bibliothèque de Genève, inv. fbb p ge 05 04 04
On se situe donc après 1899, période à laquelle la Jonction a connu de nombreux changements. Au XIXe siècle, ce quartier était encore celui des maraîchers; les jardins de Genève en quelque sorte, fertilisés par les crues des cours d’eau. Le nom de certaines rues l’atteste encore: rue des Jardins, rue de la Puiserande, rue David-Dufour (nom d’un maraîcher genevois), rue des Plantaporrêts…
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Atelier Boissonnas (Genève, 1862 – Genève, 1983), Genève, Jontion, 1889.
Épreuve photographique argentique noir/blanc collée sur carton, 161 x 223 mm.
©Bibliothèque de Genève, inv. FBB P GE 06-08 40
À la fin du siècle, le quartier change complètement de fonction. Sur le tableau, les champs ont laissé la place à de nombreux édifices tels que le «bâtiment de l’horloge», l’ancien siège administratif de la CGTE (ancêtre des TPG), construit lui aussi en 1899 et les immeubles de l’avenue de la Jonction, devant lesquels se devine la construction plate du vélodrome (1896-1917). Tout à droite de cette ligne d’horizon, au-dessous des arbres en premier plan, on trouve un édifice circulaire au toit arrondi, le Panorama. Dans ce bâtiment, autrefois sur la place du Cirque et transféré à la Jonction, les Genevois pouvaient admirer La Bataille de Morat de Louis Braun, de 1897 à 1904.
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Carte postale, photo: D.R.
Enfin, le quartier de Saint-Jean qui domine actuellement les falaises en arrière-plan n’est pas encore construit, à l’instar de l’école de Saint-Jean avec son clocher érigée entre 1913 et 1914. Nous sommes donc entre 1899 et 1904.
À suivre
Un petit bain dans l’Arve? La baignade, une tradition genevoise 2/2
Article tout à fait instructif, et d’autant passionnant pour quelqu’un qui habite ces lieux!
Je suggérerais de présenter cette recherche dans les écoles du Quartier de la Jonction et de St Jean, je suis certaine que les enfants du primaire seraient accrochés par cette sorte « d’enquête » si l’on peut qualifier cette recherche ainsi.
Bravo et merci à Madame Graf .
Agnès Gautier
Chère Madame, merci pour votre commentaire et votre suggestion. Meilleurs messages.